Les aboyeuses de Josselin

Charles Jeannel

Chaque année lors du pèlerinage de Notre-Dame du ­Roncier, à Josselin, des femmes ­venues se recueillir à la basilique se mettaient à produire des sons rauques, gutturaux, animaux, certaines en proie à une agitation extrême, d’autres tombant en convulsions. Ces femmes étaient surnommées « aboyeuses ».

Il fallait l’intervention de plusieurs hommes pour les emmener de force jusqu’au reliquaire, où on les contraignait à poser les lèvres sur la statuette de la Vierge. Ce baiser forcé les libérait instantanément de leur crise.

Ce phénomène des aboyeuses, attesté jusqu’au milieu du XXe siècle, a fait l’objet de diverses interprétations, mais il existe peu de témoignages directs présentant les faits dans leur ensemble.

Charles Jeannel, professeur de philosophie à l’université de Rennes de 1848 à 1856, est l’auteur du récit le plus factuel et le plus complet, que nous rééditons ici plus de 160 ans après sa première édition, en 1855.

  • Stéphane Batigne éditeur, 2019
  • 100 pages
  • 10 x 15 cm
  • ISBN : 979-10-90887-67-1

Extrait

Cependant la malade ne revenait pas à elle. Sa respiration était de plus en plus pénible. Son corps était agité de légers soubresauts. Des mouvements convulsifs chassaient en arrière ses mains tout ouvertes, qu’elle paraissait vouloir ramener sur ses genoux. Ses mouvements devinrent bientôt plus étendus et plus énergiques. Ses jambes surtout, en fléchissant et se redressant tout à coup, la rejetaient en arrière avec tant de force qu’elle faillit renverser plusieurs fois sa chaise, ses deux gardiennes, et deux religieuses agenouillées sur leurs prie-Dieu derrière elle. Il y eut même une secousse si soudaine que le mouvement se propagea jusqu’à l’estrade et au prie-Dieu de l’élégante quêteuse, qui ne parut point s’en émouvoir.
[...] La poitrine sifflait ou râlait, et au lieu de s’élever et de s’abaisser par un mouvement respiratoire indépendant des autres mouvements du corps, elle était faiblement agitée par une impulsion convulsive, suivant exactement le rythme saccadé de la trépidation des bras et des jambes. Il y eut un moment de répit, c’est-à-dire d’immobilité et de silence, et tout à coup une violente secousse de tout le corps fut accompagnée d’une fusée d’aboiements aigus, semblables à ceux d’un chien de carton posé sur un soufflet.
Il semblait alors que la convulsion générale ne servit qu’à secouer la poitrine pour en faire jaillir ce cri bestial.
À partir de ce moment, les crises d’aboiements ou de râlement sourd se succédèrent sans intervalle, avec une continuelle tempête de convulsions uniformes, les bras s’écartant et se rejetant toujours en arrière, et les jambes se pliant et se roidissant tour à tour.

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