Critique de «Poèmes sans titre de transport», par Paul Gellings

Critique de Poèmes sans titre de transport, d’Olivier Cousin

par Paul Gellings
In La Revue littéraire, n° 71, janvier-février 2018

 

Poèmes sans titre de transportLe titre de ce recueil de poèmes – modeste mais remarquable – trahit d’emblée un certain goût pour le jeu de mots. Pourquoi pas ? Toute poésie qui se respecte se doit de jouer sur l’ambiguïté, voire l’épaisseur du langage, et si cette obligation ne mène pas à l’insipidité du calembour, le résultat en est une puissante réflexion lyrique qui, de page en page, enchante et amuse le lecteur ; tels les Poèmes sans titre de transport d’Olivier Cousin.

«Mais chacun d’eux a bien un titre !» objectera-t-on, et effectivement, l’omission des titres eût pu renforcer l’idée de l’ensemble. Cependant, à les regarder de près, l’on constate qu’ils sont souvent construits sur le modèle ludique du titre général derrière lequel se cachent et le ticket de métro, de tramway et de bus et le fait de se déplacer en zones urbaines, ainsi que nous le montre ce poème :

Lieux communs

Le métro se vit comme un passage obligé
Le lieu peut dérouter
alors qu’il est conçu
pour que chacun atteinge son but
sans retard sans détour
sans déviation ni trépas

C’est le lieu par excellence de la vie grouillante
Même s’il devient pour certains
lieu de survie
et même lieu endeuillé
où la mort s’impose d’une violence
odieuse

On devine ici un lien de parenté avec les «Ding-Gedichte» (=la poésie des choses) auxquels se consacra Rainer Marie Rilke lors de sa deuxième grande période de création, quand les objets furent désormais censés nous parler tout seuls. Qu’on se souvienne à ce propos des nombreuses pièces de décor (fleurs, fontaines, sculptures) dont notamment la signification que leur attribue le poète tout au long des Neue Gedichte éclate devant nos yeux. Phénoménologie qui, dans le cas d’Olivier Cousin, s’observe à partir d’évocations fort imagées du transport en commun en particulier et du microcosme citadin en général. N’est-ce pas, sur le mode d’un Rilke d’aujourd’hui, la ville qui nous parle, nous malmène et qui pue à plein nez dans Trottoirs ?

La ville se montre
peu encline aux largesses
Espace restreint
où la moindre inattention
pousse l’homme au caniveau
Espace d’étrons
où trotter en évitant
la souillure des semelles
Étroit espace étriqué
pour les entrechats du marcheur

Alors, Cousin lecteur de Rilke ? Tous deux sont en tout cas de la même famille là où, d’un bout à l’autre de Poèmes sans titre de transport, de même que dans Neue Gedichte, l’inanimé s’anime grâce à une poétique extraordinairement vivante.

Toutefois, Cousin se distingue aussi très nettement de son prédécesseur non seulement par une forme plus souple mais encore par un certain nombre de notes légères qui se mêlent de loin en loin aux poèmes plus graves et plus longs, et qui nous sont présentés comme des tickets, disant par exemple : «Ce poème est valable une heure» ; «J’ai expédié le temps entre deux rames/ sur la voie encombrée de déchets», ou «Combien de poètes sont entrés/ dans le métro en même temps que moi ?»

Un jeu donc, sur les mots, doublé d’une équipée fantasque, avec ou sans toutes sortes de moyens de locomotion, au tréfonds d’un monde labyrinthique systématiquement agrémenté de destinations inconnues. Comme la vie.

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