Les graviers de Saint-Pierre, la traite des enfants en 1900

La « grande pêche », pratiquée sur les bancs de Terre-Neuve, a connu son apogée vers 1900. À cette époque, les armateurs bretons employaient chaque année des centaines de jeunes garçons, âgés de 12 à 18 ans, pour faire sécher les morues sur le rivage de l’île Saint-Pierre, dernière colonie française d’Amérique du Nord. Ces enfants étaient surnommés « graviers ».

Entassés dans des baraques de fortune, soumis à l’autorité de « maîtres de grave » violents et sans pitié, les graviers vivaient et travaillaient dans des conditions épouvantables pendant les sept à huit mois que durait la campagne de pêche. Ceux qui en revenaient ne touchaient que quelques francs pour prix de leurs souffrances.

En 1903, le grand écrivain Charles Le Goffic (1863-1932) a mené l’enquête dans la région de Paimpol sur cette inimaginable traite d’enfants.

Parution: janvier 2026

  • Stéphane Batigne éditeur, 2026
  • 92 pages
  • 10 x 15 cm
  • ISBN : 978-2-493599-16-2

Extrait

Cinq de mes graviers sur sept sont des fils de journaliers chargés de famille : deux sont des enfants naturels et qui mendiaient pour vivre. Quatre ne parlaient pas français. On leur a dit que, comme graviers, ils mangeraient à leur faim et qu’ils pourraient ensuite s’engager dans la flotte.

* * *

Il y avait une minute de surprise, chez les nouveaux venus, devant ces baraques en sapin tronçonné, pareilles sous la neige à des huttes de trappeurs canadiens et dont la plus délabrée leur était réservée pour logement. On l’appelait la cabane [...]. On était là plus à l’étroit qu’à bord. Des niches de forme rectangulaire, disposées sur deux rangs, faisaient le tour de la pièce. Ni bancs, ni tabourets pour se hisser dans ces couchettes d’un nouveau genre, on s’aidait de son coffre qui faisait l’unique mobilier du réduit. Les niches ne contenaient aucun objet de literie. Chaque gravier devait fournir son paillot et sa couverture.

* * *

Le plus dur, c’était le transport des civières : leur charge n’était jamais inférieure à 100 kilos. Du chauffaud à la grave la distance n’est pas grande, mais il fallait faire le voyage une soixantaine de fois le matin, une soixantaine de fois l’après-midi. On en sortait les reins brisés. Entre temps, le nettoyage et le boucottage de la morue initiaient les nouveaux venus à une autre sorte de supplice : corrodé par le sel, le bout des doigts s’usait ; les mains « cassaient » et saignaient au moindre choc. [...] Elles ne formaient qu’une plaie à la fin de la campagne. [...] Souffrances atroces, auxquelles s’ajoutaient les migraines et autres accidents céphaliques déterminés par les vapeurs ammoniacales des chauffauds.

Avis

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.