«La cale ronde : une pente douce vers le passé» (Ouest-France)

«La cale ronde : une pente douce vers le passé» (Audric Guerrazzi, Ouest-France, 21 juillet 2017)

Le premier ouvrage de Charles Madézo, La cale ronde, est réédité chez Stéphane Batigne Éditeur depuis le 7 juillet. L’occasion de plonger ou de se replonger dans ce texte mi-poème mi-récit.

Il y a deux lectures possibles de La cale ronde, le texte de Charles Madézo paru chez Calligrammes en 1984, puis chez Coop Breizh en 2002, et réédité depuis le 7 juillet chez Stéphane Batigne Éditeur, dans une version revue et corrigée par l’auteur.

Des noms de lieux familiers

La première lecture procure la joie enfantine, qu’on ait grandi à Douarnenez ou non, mais du moins quand on connaît la ville, de lire ces noms de lieux familiers (le Rosmeur, le Ris, la rue Monte-au-Ciel, les Plomarc’h, etc.) décrits par un autre.

C’est le même plaisir que celui des vieilles cartes-postales, qu’on ressent aussi en contemplant les huiles sur toiles qui représentent le vieux Douarnenez (allez voir l’exposition gratuite, à la salle des fêtes, au-dessus des Halles, ouverte tous les jours sauf le dimanche).

L’autre lecture, qui n’exclut pas la première, concernera ceux que le mystère des profondeurs habite. La cale ronde est une tentative d’approche par le verbe d’un monde liquide et secret, fascinant, dont les dauphins, frères moqueurs, sont les seigneurs.

Peau rose, peau grise

À une époque ou l’Église régnait sur les heures, réglait les travaux et les jours, l’immersion des jeunes corps, vite bleuis, dans l’eau glaciale pouvait encore avoir valeur de transgression, presque de rite païen, répété et répété, jusqu’à ce qu’un jour survienne le miracle.

Et c’est presque comme si la peau rose et fragile s’épaississait et que poussaient des caudales à l’extrémité des corps frêles et nus des enfants, qui peuvent enfin se rêver « cousins des orques et des marsouins ». Pourquoi ? Qu’y a-t-il de changé ? Rien ou presque : ils savent nager.

L’écriture de Charles Madézo, né dans une famille de marins en 1939, orphelin de son père, frôle la surface de la mer sans chercher à percer à jour son mystère, mais il plonge son regard, de toutes ses forces, vers ce « miroir sombre ».

Il se fait alors passeur vers un monde disparu, Charon moderne, à la barre du « treizour ». Mais même si un voyage vers le passé est toujours un voyage chez les morts, de ces morts-là, à la godille, dans les bistrots, les églises, émane une lumière vive, qui rend moins opaque le brouillard du temps.

La deuxième partie de l’ouvrage se fait plus récit, et moins poème. C’est la marée. La mer, qui occupait tout l’espace, et cherchait comme à le saturer d’infini, se retire doucement, se met en retrait, laissant apparaître à l’air libre l’estran des souvenirs intimes.

On voit l’enfance passer, brève d’éternité, et un jour, à l’adolescence, le rose est celui d’un sein, et le gris n’est plus celui, brillant, de la peau des dauphins, mais le gris terne et rêche des blouses scolaires.

Trois semaines sur un thonier et c’est une autre vie qui commence, un autre monde qui s’offre, l’âge adulte, duquel on peut encore, heureusement, observer les enfants d’aujourd’hui, à l’aplomb de la cale ronde, jeter les mêmes pierres à la mer. Et constater que leur onde impalpable, éternelle, se confond avec celle d’hier.

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