Critique du livre «En finir avec la honte de nos racines paysannes», Pleinchamp (Belgique)

à propos de En finir avec la honte de nos racines paysannes, de Marie-Paule Gicquel
par Ronald Pirlot (Pleinchamp)

Marie-Paule Gicquel est née dans l’immédiat après-guerre et a grandi dans la modeste fermette familiale nichée au centre de la Bretagne, à l’ouest de Rennes. Agrégée de lettres modernes, elle évoque dans ce livre le sentiment de honte que la société a longtemps fait peser sur les gens de petite condition issus de la ruralité. A travers son récit de vie, c’est toute l’évolution d’un pan de l’agriculture familiale de l’après-guerre qui est ainsi dépeinte avec la précision et toute l’affection d’une observatrice avisée de son temps.

Jadis, comme le rappelle l’auteure, le sentiment de honte était communément utilisé comme un moyen de pression sociale dans les campagnes. Il ne fallait surtout pas sortir de l’immuabilité des normes établies, au risque de jeter le discrédit sur la réputation familiale, à une époque où le qu’en-dira-t-on officiait comme juge de paix. De quoi ancrer la honte dans une sorte de menace traumatisante. Un terreau fertile au sein duquel la modernité viendra semer ses diktats de bonheur. Comment, interroge Marie-Paule Gicquel, lutter face à l’eau courante et l’électricité lorsqu’on habite une modeste masure, à même la terre battue? Comment ne pas être rattrapé par un sentiment d’infériorité qui s’est peu à peu enkysté dans les rapports sociaux. L’avenir s’affiche dans les villes et plus dans les villages. D’autant que la logique productiviste dans laquelle s’inscrit désormais l’agriculture pousse les hommes de la terre à céder aux sirènes du machinisme, jetant une partie de la main-d’œuvre rurale dans les bras des sociétés urbaines.

Quitter sa terre ne constitue pas pour autant une partie de plaisir, comme le confie l’auteure, appelée à poursuivre son cursus scolaire jusqu’à l’obtention de son agréation en tant que professeure. Avec, à chaque fois, le sentiment de l’imposture face aux bagages culturels affichés par ses condisciples. Cette honte, tenace et vivace, qui biaise son auto-perception.

«Il m’a fallu des années pour me rendre compte que les comportements et manière de faire que nous avions vu les adultes mettre en œuvre dans le travail, à la campagne, pouvaient être repris et transposés dans le champ des disciplines intellectuelles: se concentrer sur sa tâche, repérer, essayer, rectifier, garder en mémoire, poursuivre ses efforts… Pendant le temps de la scolarité, j’avais été en grande partie inconsciente de ces filiations souterraines, persuadée que j’étais de venir d’un milieu où l’on était des démunis. (…) Nos parents nous avaient [pourtant] appris à regarder, à chercher, à prendre un travail et à mener à bien une activité à son terme». Et Marie-Paule Gicquel de conclure : «De la honte, héritage douloureux et cicatrice durable, intolérable et insoutenable, nous sommes nombreux à avoir fait une chance. Vécue par des personnes qui avaient été élevées à la dure, elle s’est révélée stimulante. Elle nous a poussés à travailler, à dépasser nos limites et à chercher à aller toujours plus loin.»

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