Critique de «Naïa, la sorcière de Rochefort-en-Terre»

par Marilyse Leroux, le 20 décembre 2015

Stéphane Batigne, dans sa collection Patrimoine, a eu l’excellente idée de traduire et de publier un court texte du Breton Charles Géniaux paru en anglais en 1899, resté inédit depuis. Le récit, raconté par Géniaux à la première personne dans un style fluide et vivant, s’accompagne de 6 photographies originales.

Un amoureux de la Bretagne quelque peu oublié

C’est tout naturellement que ce féru de traditions populaires et de photographie s’intéressa au patrimoine de sa région natale, la Bretagne. Ses pas le menèrent à plusieurs reprises à Rochefort-en-Terre, petite cité morbihannaise, dite « de caractère », située à 35 km à l’est de Vannes, classée aujourd’hui parmi « les plus beaux villages de France ».

Des deux textes écrits par Géniaux sur Naïa la Sorcière de Rochefort, c’est ici le tout premier qui est traduit par Stéphane Batigne, celui paru en anglais en 1899 dans la revue britannique Wide World Magazine spécialisée dans les récits exotiques. On trouvera à la fin de l’ouvrage quelques-uns des écarts significatifs avec la seconde version parue en 1903 dans La Vieille France qui s’en va.

Qui était Naïa la Sorcière ?

Autant dire qu’à la fin du livre on ne le sait pas vraiment. Le mystère reste entier, sinon Naïa ne serait pas une sorcière et le charme serait rompu. Charles Géniaux enquête pour la retrouver, difficilement, car la vieille femme (qui n’a pas d’âge) a le don d’ubiquité, on l’a vue ici, on l’a vue là. À elle seule, elle semble rassembler tous les pouvoirs des sorcières : guérisons prophéties, lignes de la main, mauvais sorts, insensibilité au feu, parole oraculaire, immortalité, on en passe tant les superstitions rurales vont bon train à cette époque.

On dit qu’elle vit le plus souvent dans les ruines du Château, une forteresse médiévale construite par la puissante famille des Rieux. Elle erre dans la région tel un pur esprit qui n’a besoin ni de se nourrir ni de changer de vêture. Telle elle est, telle elle reste, figée à jamais dans les imaginations. Une photo de Géniaux nous la montre, enveloppée de son châle, rencognée contre un mur, son fidèle bâton à la main, comme confondue avec la paroi. Sauvage, mystérieuse, on la voit plus loin apostropher le ciel, bras levés, yeux d’outre-tombe, ou bien c’est une fumée qui la signale lorsqu’elle intercède avec les enfers, telle une pythie tout droit sortie des légendes antiques. Géniaux, qui finit par la rencontrer dans son « salon » de verdure, ne parvient pas à comprendre tout ce qu’elle dit car elle s’exprime parfois en breton. De plus, elle possède le talent de ventriloquie dont elle joue pour effrayer les campagnards ! C’est en somme un concentré de sorcière, une sorcière-orchestre qui dispose d’une panoplie complète, en tout cas suffisamment fournie pour tenir à distance celles et ceux qui croisent son chemin. Elle a conclu un pacte avec le diable, c’est évident. Pourtant, après une divination, il arrive qu’on la quitte avec le sourire, telle cette jeune Yvonnette que photographie l’auteur au cours de son reportage.

Et maintenant ?

Charles Géniaux dans son enquête, même s’il a sans doute forcé le trait pour flatter l’imagerie populaire et le folklore, essaie à certains moments de déconstruire le mythe en rapportant les propos d’un médecin ou du juge de paix : il doit bien y avoir une explication rationnelle à tous ces événements surnaturels rapportés dans le pays.

Au lecteur de se faire son idée car le mystère Naïa reste entier. Une chance pour les imaginatifs ! D’où venait-elle ? Quel âge avait-elle au moment de l’enquête ? Comment faisait-elle pour subsister ? D’où détenait-elle son savoir ? Mystère. Même son nom de Kermadec est contesté. Après la lecture de Géniaux/Batigne, soit le mordu de Naïa se laissera porter par la magie du personnage et du lieu − Rochefort-en-terre s’y prête facilement – et il s’efforcera alors de retrouver sa présence sous un porche, dans la forme d’un rocher, sous les pampres d’un lierre, soit il se lancera dans une recherche historiographique où le sérieux de l’archiviste prendra le pas sur la fantaisie du conteur, soit il se jettera séance tenante sur son clavier pour écrire les aventures de Naïa la Sorcière, son fantôme qui rôde encore dans les rues de la cité, parmi les ardoisières, sur les berges du Gueuzon, au Naïa Muséum ou dans l’enceinte du château ayant certainement plus d’une d’histoire à raconter… Les contes un peu sorciers n’échappent-ils pas eux aussi aux lois du temps ?

Mais chut, les murs de Rochefort ont des oreilles… La Porte de l’Enfer ouvre déjà grand sa bouche… Un souffle s’en échappe… ah !!!

Note de lecture, par Marilyse Leroux

Lignes de vie, de Bruno Cornières
par Marilyse Leroux, le 3 décembre 2015

Lignes de vieDe Bruno Cornières, on a retenu en 2014 son premier opus, Ombres et autres poèmes, paru chez le même éditeur, recueil sélectionné en 2015 pour le Prix Angèle Vannier décerné par l’Association des Écrivains Bretons. On reconnaîtra dans ce second recueil la voix singulière de l’auteur qui sur la page tire les grandes lignes du réel auquel il est confronté, au plus près de la vie humble, celle d’un monde en butte à toutes les misères et injustices. De ces « lignes de vie » le recueil tire sa cohérence, forme et propos : Lignes brisées, Lignes de fond, Lignes de fuite et Lignes droites. On remarquera le cheminement des unes aux autres, les avancées, les retours, les diagonales et les boucles que dessinent entre eux les poèmes (voir la photographie de couverture).

Une poésie d’engagement ancrée dans le réel

Il s’agit clairement ici d’une poésie engagée, qui ne se présente pas tant comme un cri, une vocifération, arme au poing et drapeau au vent, que comme l’observation et la dénonciation lucides, décalées souvent, d’un monde qui semble courir à sa perte.

Dans ce monde « nerveux comme un chat hérétique », il y a ceux qui, en toute bonne conscience, vendent « des actions au paradis », ceux qui bourrent les urnes, jouent le théâtre du pouvoir sans se soucier des coulisses, qui font « vaciller les usines » au prix de « combats truqués aux chiffres », de « formules creuses », et ceux qui, toujours les mêmes, paient le prix de la casse, qui « crachent leurs efforts en fumée », par les cheminées d’usine, ceux qui, crucifiés sur l’autel de la rentabilité, continuent de s’écorcher les pieds en dansant sur des « clous toujours neufs ».

C’est de l’humanité souffrante, exploitée, méprisée dont nous parle ici Bruno Cornières, fort de sa longue expérience d’ouvrier syndicaliste broyé lui-même par le système (certains poèmes rappellent en effet la maladie professionnelle dont il souffre). Que deviendrons-nous si nous n’avons que des machines pour interfaces, des robots sans cœur ni âme ? Cette « Rose » dont il est question page 24, avec son corps fait pour danser la vie, est-elle condamnée à devenir la « fleur rigide » des tombeaux annoncés ? « Stakhanov » d’un monde décérébré, fantômes de nous-mêmes enfarinés à l’envi, allons-nous nous laisser laminer à la sauce télé jusqu’à ressembler à des alignements de carottes hors-sol ? Toutes pareilles, belle couleur, aucune saveur.

IMG_0094Une écriture ludique et décalée

Bruno Cornières, dans une approche lucide et directe bien éloignée des petits oiseaux et des fleurs bleues, aime jouer sur la couleur des mots, leurs sonorités, leurs échos, leurs liens souterrains plus ou moins visibles, à l’image de ce monde globalisé où tout s’avère interdépendant, plus qu’on ne le voudrait souvent. Le recueil abonde de jeux lexicaux : l’homonymie (« devins/devin »), la paronymie («bayou/boyaux – écrin fardé de l’art – baudroie/baudruches », on pourrait même dans la lignée y ajouter baudriches !), les contrepèteries (« lézards/laser »), les détournements divers (« des roues infortunes »), les rimes facétieuses, etc. Les images sont surprenantes, personnelles, osées parfois, telle cette vache qui cauchemarde sur ses pis roses devenus gants Mapa, un sacré recyclage ! Si le propos peut paraître sévère, sans concession, l’écriture est là pour nous le faire passer par l’humour, du noir au plus tendre, et surtout la dérision, l’autodérision qui sauvent tout.

Quelles lignes de fuite ?

Les mots s’amusent sous nos doigts mais que dire de tous ceux qu’on nous enlève comme le pain de la bouche ? Hop, confisqués par la moulinette médiatique, rendus aussi vides que des «oreilles coupées». On a allumé les lampions de la fête mais plus rien n’est à la fête, « plus rien ne semble bon », tout boit « l’eau de la mort ». Alors que faire ? Peut-être sortir un matin, de bonne heure, se fondre dans le silence ouaté de la ville, « s’enraciner » dans un arbre, ce double plus conforme, lui sourire, « on ne sait jamais », des fois que le monde ne serait pas tout à fait mort. Heureusement, des « lignes de fuite » nous font entrevoir quelques ouvertures vers demain, illusoires sans doute, mais ouvertures quand même : passé les mauvais tours de l’aube, on pourra continuer à danser le tango « contre l’angle mort du poids des siècles », à s’aimer en vert sur la mousse, à défendre « les étoiles lasses » contre les « semelles iconiques » qui monopolisent la lumière, à préférer les fleurs sauvages à « l’art frauduleux », à exalter le « glorieux prolo » qui fait marcher la boutique. Il tourne vite, le grand manège, c’est sûr, les économistes font tout pour nous le rappeler, on piétine allègrement les « fleurs d’or » sur les pavés, on exalte le kitch au détriment du naturel, on se laisse dépouiller de l’essentiel, mais non, on ne peut tout nous prendre, il doit bien rester dans ce désastre quelque fée, quelque vraie luciole capable de nous éclairer d’une autre manière, de revivifier notre quête « d’à venir ». Comment accepter que le monde ne soit que redite, que « vieille scène » invariablement répétée, que projet voué à un grand « boum » version patratas ?

En ce sens, la mise en page proposée par l’éditeur Stéphane Batigne, originale elle aussi à l’instar du format étroit de l’ouvrage (18 cm sur 10), voire déroutante au premier abord, sert le propos du livre. Elle se veut un parti pris de verticalité, de minimalisme percutant, les mots tenant ensemble, centrés sur la page, solidaires comme de minces fils de vie, fragiles et forts à la fois, parce que, vraiment, non, n’en déplaise à Baldwin (Richard, pas l’autre), « on ne sera jamais des méduses », on fera tout pour rester debout quoi qu’il arrive, comme des arbres ou des brindilles.

On l’aura compris, dans ces Lignes de vie au double regard, chance ou malchance, il s’agit d’une poésie engagée contre les travers du temps, que l’on pourrait croire désenchantée si elle ne possédait cette part de décalage et de folie qui en fait la saveur et le prix, cet écart dû à la satire, ligne d’entre-deux salutaire, nécessaire même, dans laquelle le lecteur peut risquer ses pieds, son âme et peut-être son combat.

Rencontre avec Laure Des Trésors

Pourquoi écrire pour les enfants?
Laure Des Trésors: J’ai décidé d’écrire pour les enfants parce que j’ai souvent été déçue par les histoires que je lisais à mon fils, parce qu’il n’y a pas de limite à l’imaginaire et parce que je n’avais pas le courage de faire des recherches poussées pour écrire des romans policiers ou historiques pour les adultes.

Comment est né le personnage de Hellsy?
Par hasard!!! En fait, je ne m’en souviens pas bien. J’étais partie sur des histoires d’enfants ayant des défauts, se retrouvant en difficulté à cause de ces défauts, ou mettant en difficulté leurs parents qui ne savent plus comment gérer la situation (problèmes des enfants dits «à problèmes» et des parents démissionnaires). Du coup, il me fallait une solution pour arranger les choses et, comme Joséphine, ange gardien, était déjà prise sur d’autres contrats…, j’ai dû engager un illustre inconnu pour faire le travail, à grand renfort de magie, bien sûr, sinon ce ne serait pas drôle.

Les parents sont singulièrement absents dans vos histoires… Comme dans la vraie vie?
Ha ha, j’aime beaucoup cette question. Du coup, ça me ramène un peu à la réponse précédente, où j’évoque les parents démissionnaires. Sans jeter la pierre à qui que ce soit (vu que je suis moi-même largement concernée), on est tous d’accord pour dire que, souvent, nos enfants se comportent beaucoup mieux avec une tierce personne qu’avec nous. On n’ose à peine les emmener chez des amis parce qu’on appréhende qu’ils nous pourrissent notre temps de loisir et, en fait, quand on les place chez une nounou pendant notre temps de travail, on apprend avec stupeur qu’ils ont bien dormi, qu’ils ont bien mangé, qu’ils ont été a-do-raaaaaa-bles. D’où le fait de faire intervenir, dans mes histoires, un personnage qui va prendre en charge nos petits casse-pieds avec qui on ne sait plus comment faire.

Entre les trolls, les dragons et maintenant un phénix, vos histoires sont ancrées dans un certain imaginaire. La réalité vous ennuie?
Oui, un peu. Et puis, j’écris pour les enfants, pas pour moi. Les enfants et les adultes passent leurs journées à devoir être sérieux, sages, à l’école ou au travail; obéissance, discipline, calme, apprentissages, règlements à respecter, pfou… Personnellement, j’aime bien sortir de tout ça et m’évader, donc mes lectures sont essentiellement des fictions et mon écriture est influencée par ce que je vis et par ce que je lis.

Comment expliquez-vous qu’en 2015, les princes, les princesses et les lutins soient toujours aussi populaires chez les enfants.
Je pense que c’est comme le symbole de l’infini: il y a une transmission perpétuelle des parents à leurs enfants. Les princes et les princesses continuent de représenter une vie de rêve, une vie idéale, les princesses sont belles, les princes sont charmants; ils vivent dans des châteaux et ont tout ce dont ils ont besoin. Les princesses ont de belles robes et de magnifiques cheveux toujours bien coiffés, les princes savent monter à cheval et défendent leur royaume contre ses ennemis. Quant aux lutins, ils représentent la magie, tout comme les fées, par exemple. Et quelle que soit l’époque à laquelle on vit, quel que soit notre âge, je pense qu’on aimerait tous bénéficier d’un coup de pouce magique pour enjoliver notre vie.