Critique du livre «En finir avec la honte de nos racines paysannes», Pleinchamp (Belgique)

à propos de En finir avec la honte de nos racines paysannes, de Marie-Paule Gicquel
par Ronald Pirlot (Pleinchamp)

Marie-Paule Gicquel est née dans l’immédiat après-guerre et a grandi dans la modeste fermette familiale nichée au centre de la Bretagne, à l’ouest de Rennes. Agrégée de lettres modernes, elle évoque dans ce livre le sentiment de honte que la société a longtemps fait peser sur les gens de petite condition issus de la ruralité. A travers son récit de vie, c’est toute l’évolution d’un pan de l’agriculture familiale de l’après-guerre qui est ainsi dépeinte avec la précision et toute l’affection d’une observatrice avisée de son temps.

Jadis, comme le rappelle l’auteure, le sentiment de honte était communément utilisé comme un moyen de pression sociale dans les campagnes. Il ne fallait surtout pas sortir de l’immuabilité des normes établies, au risque de jeter le discrédit sur la réputation familiale, à une époque où le qu’en-dira-t-on officiait comme juge de paix. De quoi ancrer la honte dans une sorte de menace traumatisante. Un terreau fertile au sein duquel la modernité viendra semer ses diktats de bonheur. Comment, interroge Marie-Paule Gicquel, lutter face à l’eau courante et l’électricité lorsqu’on habite une modeste masure, à même la terre battue? Comment ne pas être rattrapé par un sentiment d’infériorité qui s’est peu à peu enkysté dans les rapports sociaux. L’avenir s’affiche dans les villes et plus dans les villages. D’autant que la logique productiviste dans laquelle s’inscrit désormais l’agriculture pousse les hommes de la terre à céder aux sirènes du machinisme, jetant une partie de la main-d’œuvre rurale dans les bras des sociétés urbaines.

Quitter sa terre ne constitue pas pour autant une partie de plaisir, comme le confie l’auteure, appelée à poursuivre son cursus scolaire jusqu’à l’obtention de son agréation en tant que professeure. Avec, à chaque fois, le sentiment de l’imposture face aux bagages culturels affichés par ses condisciples. Cette honte, tenace et vivace, qui biaise son auto-perception.

«Il m’a fallu des années pour me rendre compte que les comportements et manière de faire que nous avions vu les adultes mettre en œuvre dans le travail, à la campagne, pouvaient être repris et transposés dans le champ des disciplines intellectuelles: se concentrer sur sa tâche, repérer, essayer, rectifier, garder en mémoire, poursuivre ses efforts… Pendant le temps de la scolarité, j’avais été en grande partie inconsciente de ces filiations souterraines, persuadée que j’étais de venir d’un milieu où l’on était des démunis. (…) Nos parents nous avaient [pourtant] appris à regarder, à chercher, à prendre un travail et à mener à bien une activité à son terme». Et Marie-Paule Gicquel de conclure : «De la honte, héritage douloureux et cicatrice durable, intolérable et insoutenable, nous sommes nombreux à avoir fait une chance. Vécue par des personnes qui avaient été élevées à la dure, elle s’est révélée stimulante. Elle nous a poussés à travailler, à dépasser nos limites et à chercher à aller toujours plus loin.»

Critique de L’Exilée du Tout Va Bien, par Julie Morand, libraire à Rennes

À propos de L’Exilée du Tout Va Bien, de Charles Madézo, par Julie Morand (librairie La Rencontre à Rennes)

«Ce texte sensible et rare sur la vie de la propre mère de l’écrivain, victime d’infamie, de honte et de rejet de la société traditionnelle m’a beaucoup touchée.

Ce regard sans fards sur les vies brisées par l’exclusion et la perte des liens affectifs est porté par une écriture tranchante et poétique.

Un témoignage fort.»

«Charles Madézo face au drame originel», Dru

par Yves Perennou

L’éditeur de Questembert Stéphane Batigne poursuit la publication de récits personnels forts, qui racontent l’histoire des Bretons sans fard. Après En finir avec la honte de nos racines paysannes (voir l’article dans Dru) et Paroles d’agricultrices, évolution de la ruralité à La Vraie-Croix, voici L’Exilée du Tout va bien. L’écrivain Charles Madézo y délaisse son thème habituel de la mer pour un récit âpre sur sa mère. A la fin des années 30, Maria s’est exilée, à 17 ans, pour échapper à son maudit statut de fille bâtarde dans son village bigouden. Elle est le fruit du viol d’une fille de ferme. La Bretagne revient bientôt la chercher au bistrot de Dieppe où elle sert, incarnée par un marin de Douarnenez… Charles Madézo convoque Saint-John Perse, la littérature et des éléments d’analyse sociale et psychologique, dans un effort pour prendre de la distance, éloigner le « lamento », comme il dit. Mais l’émotion repousse, vivace, nourrie par les souvenirs de l’enfance à Douarnenez (il est né en 1939), par la honte collective qui pesait sur les jeunes femmes victimes et leur descendance. Chez Madézo non plus, ce n’était pas mieux autrefois, et cela reste dans les tripes, écrit au temps présent.

«Une analyse très juste sans être complexe», Haude Rivoal

Critique de En finir avec la honte de nos racines paysannes, de Marie-Paule Gicquel

«L’écriture en elle-même est très agréable et je n’ai pas pu m’empêcher de me délecter de l’aspect sociologique du propos. Cela m’a renvoyé à plusieurs lectures universitaires bien sûr, mais aussi à des écrivains comme Annie Ernaux.

C’est d’ailleurs le témoignage qui fait la force de votre récit. Le vécu est traduit dans un mélange très équilibré de tendresse et de pudeur qui rend le propos d’autant plus touchant. L’analyse que vous faites de l’impact des changements sociaux est par ailleurs très juste sans être complexe. Je pense notamment au chapitre “Les efforts pour s’en sortir”, sur la transmission des valeurs liées au travail et le souhait des parents de voir leurs enfants vivre plus confortablement.

À titre personnel, le livre m’a également permis de mieux comprendre certaines réactions de mes parents, oncles ou tantes, sur l’économie des gestes et des mots, sur la fierté, le travail, l’effort, le collectif et les récompenses. J’ai mieux compris pourquoi l’étourderie est un privilège et les compliments un dû.

Merci pour ces mots et ce livre qui rencontrera je l’espère le succès qu’il mérite.»

Haude Rivoal, Nantes

Haude Rivoal est sociologue, associée au CNAM-CEET (Centre d’Études sur l’Emploi et le Travail) et au CRESPPA (Centre de Recherches sociologiques et politiques de Paris). Elle est l’auteure de La fabrique des masculinités au travail (La Dispute, 2021).

«De l’enfance en Centre-Bretagne à la réflexion sur les origines de la honte», Dru

Critique de En finir avec la honte de nos racines paysannes, de Marie-Paule Gicquel, sur le magazine Dru, dans la foison des créations de Bretagne

De l’enfance en Centre-Bretagne à la réflexion sur les origines de la honte

Marie-Paule Gicquel signe ici bien plus qu’un livre de souvenirs sur le thème « la campagne de mon enfance ». Certes Marie-Paule Gicquel témoigne de la vie paysanne en Centre-Bretagne (pays Porhoët), mais c’est pour expliquer comment cet univers a intégré le sentiment de honte d’elle-même. Dans un style vivant et précis, elle décrit le quotidien qui fondaient le code moral paysan : le respect du travail, l’entraide, mais aussi le conservatisme. Elle fait ressortir l’intelligence collective d’un territoire jusqu’à la bascule des années 60, le remembrement, le rejets des savoirs traditionnels et le déchirement d’une génération partie à la ville. Ce qu’elle raconte est un mépris de classe, mais, à la différence des ouvriers, écrit-elle, « Nous étions des individus isolés, sans conscience de classe ». Ancienne professeure agrégée de lettres modernes à Vannes, Marie-Paule Gicquel confie aussi combien cette honte reste imprégnée chez celles et ceux qui « en sont sortis ».

En finir avec la honte de nos racines paysannes, Marie-Paule Gicquel, édition Stéphane Batigne

«Faire sonner les bassins, un intrigant rituel du solstice», par Céline du Chéné sur France Culture

Chronique de Céline du Chéné, dans «Mauvais Genres», une émission de François Angelier réalisée par Laurent Paulré, diffusée sur France Culture dimanche 3 septembre 2023 à 15h et 22h.
Le livre « Sonnerie de bassin – un intrigant rituel du solstice » de Roland Becker et Laure Le Gurun revient sur une pratique bretonne qui consistait à faire résonner des bassins de cuivre à l’aide de joncs, la nuit de la Saint-Jean.

Imaginez que vous marchez dans la campagne bretonne. Le ciel est étoilé, l’air tiède, nous sommes dans la nuit du 23 au 24 juin. Vous voyez au loin, dans le noir, les feux de la Saint-Jean des villages alentours qui scintillent. Et il y a ce son qui résonne et qui arrive par vagues, jusqu’à vos oreilles. Sonnerie de bassin, un intrigant rituel du solstice, un livre écrit par Roland Becker et Laure Le Gurun (éditions Stéphane Batigne, 2023) permet de comprendre cette pratique, aujourd’hui quasiment disparue, nommée la sonnerie de bassin.

L’étrange musique provient d’une bassine autour de laquelle deux personnes sont agenouillées. Il s’agit de ces bassins en laiton, aux bords retournés, pouvant faire jusqu’à un mètre de diamètre pour 45 centimètres de profondeur. Des objets que l’on trouvait dans toutes les maisons de la Bretagne rurale, qui servaient aussi à bien à préparer la nourriture, servir les repas, que faire la lessive.

C’est d’un bassin, posé sur un trépied, que vient ce bourdon rauque, au timbre profond avec parfois des boucles plus aiguës, qui semblent quasi surnaturelles. Penchés au-dessus du bassin, deux personnes, homme ou femme, tiennent quelques joncs, longs et résistants, entre les doigts. L’un les tient fermement aux rebords ; l’autre, en face, tire sur les joncs en faisant glisser ses doigts tout le long. Et c’est de là que vient ce son puissant, ce mouvement de doigts sur un ou deux joncs, au-dessus d’une bassine qui devient caisse de résonance.

À quoi sert ce rituel ?

Depuis quand existe-t-il ? Dans quel but le pratique-t-on ? Pourquoi à la Saint-Jean, nuit magique par excellence ? Existe-t-il toujours ? Autant de questions auxquelles répond le livre de Roland Becker et de Laure Le Gurun, publié par les éditions Stéphane Batigne. Un éditeur que je ne peux que chaudement vous recommander car son catalogue regorge de pépites sur la Bretagne, de vieux textes exhumés, d’histoires, de tradition et de légendes. Il y a Naïa la sorcière de Rochefort-en-terre, les aboyeuses de Josselin, mais aussi des romans, de la poésie et des livres jeunesse.

«Les ombres du silence» dans l’émission «Entre les lignes» (RCF)

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En donnant la parole aux auteurs et aux éditeurs, mais aussi aux critiques… et aux lecteurs, nos productrices vous invitent à vous faufiler Entre les lignes.
Pour comprendre, pour savourer.
Loin des idées préconçues, sans obéissance aveugle aux modes éphémères, la curiosité d’esprit et le plaisir de la lecture seront ici à l’œuvre !
Émission interactive, au ton joyeux et enlevé, ponctuée de textes choisis et de découvertes musicales, Entre les lignes est aussi un moment de partage et d’approfondissement.

Critique de «La vie dans les failles», par Ève Lerner

La vie dans les failles, d’Anthony Ryo

C’est une histoire de lignes, câbles, rivières, sillons, ligne des vagues, lignes de mire et de gratte-ciel, lignes de crêtes et d’horizon, ligne de partage des eaux, labyrinthe d’écorce et veines de feuilles, lignes de vie, lignes de failles, bien loin de la ligne générale.

Parfois on rencontre une pépite et l’on défaille, devant une racine de mai, le moment où la mémoire retrouve le premier chaos, le fracas consolateur des houles. Les cordes de l’univers-filament, leurs trajectoires, comme nos voyages, se dédoublent, se croisent, se carambolent.

Ici, le pays se cache ou se révèle, selon que l’œil s’ouvre ou cligne quand la stupeur nous saisit, que les vies antérieures reviennent se loger entre l’œil et le paysage, pourvu que l’on ne veuille rien.

Le long des nerfs où l’on pense, faire entendre les voix, les chants, les origines, les oiseaux, les algues, les grumes, la mer et les nuages, devenir, comme malgré soi, l’hôte de chaque vie, le capteur des signes c’est le lot, la voie, le privilège et la plaie d’être un poète, un vrai.

Ève Lerner

Coup de cœur d’Isabelle Guilloteau pour «Désert indigo» (revue Dissonnances)

Coup de cœur d’Isabelle Guilloteau pour Désert indigo (revue Dissonnances # 35 – novembre 2018)

 

« L’intuition charnelle d’être vivant nous vient au désert ».

Durant des jours et des nuits indigo, Annie Rolland a suivi la caravane des Touaregs, au cœur du Sahara, écoutant le désert à travers le minéral, l’animal, l’humain. De ce voyage, « restitué dans sa dimension imaginaire, la seule qui vaille qu’on prenne la route », est né ce récit nourri de sensations, réflexions, contes et proverbes de ce peuple dont «  la pensée est sculptée par le désert », et dont la « parole voilée », « à l’image d’un paysage d’une beauté incomparable, est un vecteur essentiel du sentiment d’exister ». Dans l’immensité désertique qui contraste avec la densité poétique, le lecteur-voyageur découvre ainsi la poésie Touarègue, « mélancolique et nostalgique, dont les contes sont bâtis sur la violence des sentiments  » et « traversés par cette question lancinante : comment redonner corps au monde ? »

Constante du récit de voyage, la survie est une leçon d’humilité : « on apprend que suivre les traces et observer les signes sont les choses les plus importantes pour trouver ce que l’on cherche et rester en vie », que « l’eau c’est la vie », dans cette langue où l’eau, « Aman », se confond à la vie, « Iman ». Et les dunes façonnées par le vent du Sahara nous enseignent que « toute forme d’ordre orchestrée par les hommes est vaine ».

Omniprésente, la dimension philosophique questionne notre rapport au temps et à l’espace, notre place sur la planète. Ainsi, à travers l’observation des corps dans ce mouvement intrinsèque au désert – « car l’immobilité contient une menace d’anéantissement » – la caravane des nomades devient la métaphore de tous les peuples qui aspirent à vivre.

 

«Entre histoire et fantasy», Le Peuple breton

Critique des Frontières liquides, de Jérôme Nédélec
Le Peuple breton, mai 2018

« […] Entre histoire et fantasy, les frontières sont forcément et par nature liquides… Le lecteur peut bien s’y perdre et c’est bien là que l’écriture, la vraie, fluide comme l’univers en mouvement, acquiert toute sa valeur. L’auteur connaît ces âges sombres et leurs lieux et chemins de terre comme sa poche à trous. Et sait par cœur où les doigts peuvent inventer le reste. Roman « choral » où diverses voix alternent pour brosser un imaginaire des plus réels, où la réalité se fond entre mondes aussi crédibles que sortis de chroniques de copistes et leurs héros de papier. Et surtout inaugural: l’œuvre d’un érudit patient et discret: la première du genre qui séduira autant le passionné d’histoire bretonne que l’amateur de belles destinées en armure ; et le premier tome d’une trilogie en cours. Un palimpseste remarquable dont on attend la ligne à venir pour rêver ensemble les mondes dont nous sommes issus.»

«Un roman historique sur les Bretons et les Vikings», Le Poher

Critique des Frontières liquides, de Jérôme Nédélec, dans l’hebdomadaire Le Poher

«Le roman historique est un genre tombé quelque peu en désuétude en Bretagne, sans doute en raison de la frilosité des éditeurs, et c’est fort dommage. Dans son premier roman, Jérôme Nédélec renouvelle le genre de manière originale en proposant une sorte de dialogue entre deux guerriers du IXe siècle. L’un est un Viking, les Hommes du Nord s’étant installés depuis plusieurs décennies à Nantes et sur divers points du littoral breton. L’autre est un soldat breton, assez sceptique, qui tente de survivre à la bataille de Rieux, dont le souvenir s’est perpétué dans les chroniques. Jérôme Nédélec revisite donc de manière décapante cette victoire bretonne sur les Normands. Le récit est servi par une dose bienvenue d’humour, peu fréquente dans ce genre. Le réalisme du récit est également mis en valeur par les connaissances de l’auteur sur la période. Féru d’histoire de Bretagne, mais surtout d’archéologie, Jérôme Nédélec parvient à rendre particulièrement vivants certains épisodes, comme cette fabrication de flèches médiévales, plus vraie que nature. Ces « Frontières liquides » sont le premier tome d’une trilogie historique et fantastique qui s’annonce fort prometteuse.»

«Les Frontières liquides», dans le magazine Nous Vous Ille

Dans son numéro 121 de mai 2018, le magazine trimestriel du département d’Ille-et-Vilaine, Nous Vous Ille, souligne avec intérêt la parution des Frontières liquides, de Jérôme Nédélec.

«Si vous aimez les romans d’aventure historiques mâtinés d’une touche de fantastique, lisez Les Frontières liquides, premier tome d’une trilogie imaginée par Jérôme Nédélec.»

Critique des Frontières liquides, sur le blog Évasion imaginaire

Une critique des Frontières liquides, de Jérôme Nédélec, sur le blog Évasion imaginaire

« […] Les vikings contre les bretons, les barbares païens contre les bons chrétiens. Deux poids, deux mesures, deux histoires qui s’imbriquent pour n’en former qu’une, avec en annexe une troisième qui mènera un combat différent et reliera les deux autres.

Nous suivrons les aventures de deux protagonistes. L’un du côté des Morlaerien (ou Vikings) qui sera souvent en mouvement en tant qu’éclaireur pour la future invasion et frère d’un chef nommé Rolarfh, dit le Corbeau. L’autre du côté breton, un soldat de 17 printemps (quasi 18) qui devra organiser les défenses et la construction d’un castel avec les bons conseils d’un prêtre pour bloquer l’invasion barbare en plus de devoir entraîner une vingtaine de jeunots envoyés en « renforts » pour soutenir la résistance avant que la grande armée n’arrive.

L’un est en roue libre, l’autre est en huis-clos. L’un devra faire avec les machinations tordues de son frère à l’ambition démesurée, l’autre devra faire face à l’esprit retors des nobles. Leurs destins sont étroitement liés et ce grâce à une mystérieuse petite fille qui possède des dons surnaturels. Ce personnage intriguant est d’ailleurs le troisième protagoniste et se nomme Ouregann.

J’ai vraiment apprécié cette lecture qui peut se lire sous différents axes comme le côté Fantastique et le côté purement historique. Pour un premier roman, c’est une belle réussite même si je m’attendais peut-être à plus d’épique. Il n’y a pas d’actions non stop ni d’énormes magouilles à gogo qui font le succès des dernières séries (aussi bien littéraires que télévisées). C’est avant tout une aventure très humaine où chaque protagoniste doit trouver sa place dans des événements qu’il ne contrôle pas, le tout dans une fresque historique de grande qualité. […] »

Critique des Frontières liquides sur le blog Ombres Bones – Chroniques de l’imaginaire

Critique des Frontières liquides sur le blog Ombres Bones – Chroniques de l’imaginaire

«Les Frontières Liquides est un roman compliqué à classer. Au premier abord, nous mettons les pieds dans le genre historique. Placé au 9e siècle, ce roman retrace la bataille de Questembert. Je vous le dis tout de suite, mes compétences historiques sont plutôt développées après le 14e / 15e siècle. Le Moyen-Âge, j’ai les bases comme toute universitaire qui se respecte mais je n’avais jamais entendu parler de cette bataille avant de lire ce roman et je remercie Albédo pour les informations là-dessus.
Toutefois, nous soupçonnons rapidement la présence d’éléments fantastiques (qui se confirment), à travers la présence de cette mystérieuse petite fille et les chapitres qui lui sont consacrés. Le mélange des deux est, à mon sens, réussi et bien maîtrisé. Il frustrera certains puristes mais ravira les amateurs de nouvelles expériences.

Pour le côté historique, il est évident que l’auteur a travaillé son sujet en profondeur. Il maîtrise l’Histoire, les conditions sociales de l’époque, les titres, les connaissances culturelles, les armes, la stratégie militaire, sans pour autant nous abrutir sous une tonne de détails inutiles. Cette recherche donne au roman un côté très réaliste et prenant. Par exemple, l’un des héros s’intéresse à la manière de construire une flèche, quand ils se préparent au siège, et ça nous permet de prendre toute l’importance de ce petit objet. L’aspect guerrier est bien développé, d’ailleurs deux héros sur trois appartiennent à cette caste, et ce n’est pas pour me déplaire.

Quelques mots sur les protagonistes et sur la narration. Celle-ci est divisée en trois points de vue: celui du second de Luern (son prénom m’échappe, étrangement, je crois qu’il n’est pas cité ?), celui d’Hasten (le demi-frère du chef viking) et enfin, celui de la petite fille. Ce choix narratif est intéressant parce qu’il évite le parti pris. Il permet au lecteur de comprendre les motivations des « barbares païens » et d’assister à ce qui se passe du point de vue des chrétiens (qui, franchement, ne valent pas beaucoup mieux ). Ainsi, l’auteur évite tout manichéisme et je l’en félicite.
Via la petite fille, le lecteur obtient une vue d’ensemble et des informations qui ne font qu’engendrer davantage de questions. Cette dernière apporte la touche de fantastique évoquée plus haut et reste très mystérieuse. La fin du roman nous indique que le tome suivant, comme de juste, nous en apprendra davantage, laissant le lecteur à la fois curieux et perplexe.

Si l’alternance de point de vue est l’une des forces de ce roman, je trouve qu’elle apporte également un peu de faiblesse car certaines parties avancent plus rapidement que d’autres, ce qui oblige le chapitre suivant à commencer un peu en arrière, pour expliquer ce qui se déroulait dans le camps concerné au moment de la scène précédente. Si on manque de concentration, cela peut perdre. De plus, certains dialogues sonnaient un peu trop contemporain à mon goût, avec l’utilisation de termes trop récents. C’est un détail et quand on lit les scènes, ça ne choque pas en soi. Je me suis simplement fait la réflexion à quelques reprises et ça me paraît important de le souligner. C’est un peu dommage, vu les efforts réalisés par l’auteur pour utiliser les noms de lieux de l’époque ou encore certaines expressions. Je pense que ça contribuera, pour certains, à rendre le roman plus accessible. J’insiste sur le fait que ça ne m’a pas gâché ma lecture, loin de là! Mais ce détail pourrait gêner certains puristes.

Comme je vous le disais plus haut, le narrateur change à chaque point de vue mais l’auteur a opté pour une narration à la première personne. Je ne vois pas cela souvent et ça a été une bonne surprise car un tel choix esthétique renforce l’empathie provoquée par les protagonistes et l’implication du lecteur dans les différents camps qui composent cette histoire. Outre les héros, plusieurs personnages sont très intéressants et plus particulièrement ceux du moine et du guérisseur. Je ne doute pas qu’ils auront leur rôle à jouer dans la suite des évènements, ce qui me réjouis.

En bref, Les Frontières Liquides fut une excellente découverte. Je n’attendais rien de ce livre, ne connaissant pas l’auteure, et j’ai été agréablement surprise par sa qualité littéraire tout autant qu’historique. Jérôme Nédélec maîtrise chaque pan de son histoire historico-fantastico-militaire. Il nous propose ici le premier tome d’une trilogie prometteuse qui mérite d’être suivie avec attention. Je vous le recommande !»

Critique des «Frontières liquides», sur le blog Le Bibliocosme

Critique des «Frontières liquides», sur le blog Le Bibliocosme

Le roman de Jérôme Nédélec repose sur des bases solides et s’est révélé très plaisant à lire. […] La narration est assurée par deux personnages bien campés et auxquels on s’attache sans mal : le premier est un jeune guerrier breton à la langue bien pendue, cherchant à cacher sa peur derrière un humour de façade ; le second un Viking plus âgé, vétéran de plusieurs campagnes et aspirant désormais à un peu de paix. Les chapitres alternent ainsi entre l’un ou l’autre des protagonistes, dont les chemins vont évidemment être amenés à se croiser.

Une reconstitution historique de qualité

Quelques passages introduisent également un troisième personnage déterminant, dont on ignore pour le moment la véritable nature, mais qui prend les atours d’une petite fille aux pouvoirs étranges. C’est d’ailleurs la seule touche de surnaturel que comporte l’ouvrage qui, pour ce qui est du reste, a tout du roman historique. Il faut dire que la reconstitution est particulièrement réussie, l’auteur ayant de toute évidence procédé à de minutieuses recherches, notamment en matière d’histoire militaire. Les descriptions se font ainsi beaucoup plus précises dès lors qu’il est question d’équipements ou de tactiques militaires, sans pour autant tomber dans le travers « cours d’histoire ». Le même soin est d’ailleurs apporté aux mentalités des personnages, l’auteur ne cherchant jamais à édulcorer ce qui pourrait gêner un lecteur d’aujourd’hui mais essayant au contraire de se glisser véritablement dans la peau d’un homme de l’époque. Ce parti pris permet de donner naissance à des personnages durs qui ne plairont peut-être pas à tout le monde mais qui, au moins, sonnent vrais. Cet aspect du roman, de même que le soin apporté au volet militaire, m’a d’ailleurs à plusieurs reprises fait penser à ce que peut écrire (dans une toute autre mesure, bien sûr), Bernard Cornwell dans ses « Histoires saxonnes » ou encore sa « Saga du roi Arthur ». Le même réalisme se vérifie également dans la vision des Vikings véhiculées ici par l’auteur qui ne s’attarde pas sur les clichés habituels mais dresse au contraire un portrait réaliste de ces guerriers nordiques qui sont loin de constituer un peuple à part entière et qui appartiennent au contraire à une multitude de clans et régions.

Personnages, intrigue, style : aucune fausse note

L’intrigue est pour sa part assez simple, l’auteur ne cherchant pas à multiplier les sous-intrigues, et encore moins les décors et les personnages, mais l’ensemble est traité avec habilité. Le rythme est soutenu du début à la fin et certains rebondissements parviennent à surprendre agréablement le lecteur. Les scènes de batailles sont quant à elles très bien reconstituées, à mi chemin entre l’épique et le réaliste sanglant. On trouve également peu de choses à redire du côté des personnages qui jouent leur rôle avec conviction. Les deux protagonistes sont suffisamment complexes pour intriguer le lecteur, et suffisamment sympathiques pour le faire se soucier de leur sort. Les personnages secondaires ne sont toutefois pas en reste, même si on aurait aimé que certains soient un peu plus étoffés. Golven, le moine-guerrier, est notamment très convainquant (c’est bien la première fois que je trouve un homme d’Église sympathique !), de même que les guerriers entourant notre héros viking ou encore la belle Arganthaël, un des rares personnages féminins, dont le rôle ne se limite heureusement pas à celui de simple potiche.

Le roman se termine par une conclusion satisfaisante qui pourrait laisser penser à un one-shot, mais l’ouvrage s’insère en réalité dans un projet plus ambitieux consacré à l’histoire du royaume de Bretagne et aux menaces auxquelles il a dû faire face. On découvre d’ailleurs à la fin de ce premier tome que les ambitions de l’auteur ne se limite pas à une série puisqu’il propose également des vidéos, de la musique, des illustrations ou encore des jeux dans le même univers.

Jérôme Nédélec signe avec ce premier tome de « L’armée des Veilleurs » un roman solide qui séduit non seulement par la qualité de sa reconstitution historique, mais aussi par celle de ses personnages ainsi que de sa plume.

Critique des «Frontières liquides», sur le blog Albédo

Oh ! La Vilaine !

Critique des Frontières liquides, de Jérôme Nédélec
sur le blog Albédo – Univers imaginaires

Nous commençons à voir apparaître de nombreuses chroniques à propos de ce premier tome de L’Armée des veilleurs, au titre un peu surprenant et à la couverture qui fait couler un peu d’encre. La critique de notre ami plantigrade, L’Ours inculte avait attirée mon attention, et suite à cela l’auteur Jérôme Nédélec m’a proposé de lire son premier roman, mêlant Histoire et littérature de l’imaginaire.

Les avis sont assez variés, et cela ne me surprend pas une fois la lecture achevée.

« À la toute fin du IXe siècle, Vikings et Bretons se font face de part et d’autre du fleuve. Deux peuples, deux armées, deux soldats, deux hommes, prêts à s’affronter dans un déferlement de métal et de feu. Mais pour quoi au juste ? Pour un surcroît de richesses ? La possession d’un territoire ? La fidélité à un chef ? Ou parce qu’il n’y a pas d’autre choix ?«

En effet, la variété des retours concernant ce texte ne m’étonne pas : il s’agit indubitablement d’un roman de fantasy, mais il emprunte les marqueurs et codes du genre de manière inhabituelle, il peut laisser sur le carreau quelques lecteurs.

Les frontières liquides retracent la bataille de Questembert datant de 888/890 quand les bretons repoussèrent les vikings et autres scandinaves (dont les danois). C’est sous la férule d’Alain 1° de Bretagne – qui se fit couronné Roi de Bretagne par la suite – que les préparatifs furent entrepris et l’affrontement mené (J’ai dû faire quelques recherches, mes souvenirs étaient vagues et confus sur cette période).

Cette figure, le lecteur est amené à la croiser dans le roman de Jérôme Nédélec qui donne vie à cette bataille avec force et précision. Judicaël qui a fait la paix avec son voisin pour l’occasion est également mentionné, mais sans faire d’apparition.

C’est le fait historique qui se taille la part du lion, sans que l’aspect littérature de l’imaginaire ne soit qu’un vernis car son influence importera, notamment à la fin de ce premier tome. Cependant, il s’agit d’une fantasy historique très différente de ce que nous trouvons habituellement dans les rayons, même pour ce sous genre tant l’ambiance est est à la fois sombre et les éléments militaires précis (j’ai même pensé à Yann Le Bohec…).

L’auteur a consacré beaucoup de temps à ses recherches sur cette période de l’Histoire, et nous délivre une partition qui se veut fidèle et documentée à la fois sur les événements et sur les conditions de vie – et de mort – des gens de l’époque. Ainsi, n’avons nous droit qu’à peu d’exploration de château et autres donjons. La plupart du temps, le lecteur fréquente la boue du camp breton, retranché derrière un gué, sur un monticule où se hérisse peu à peu une fortification. Le froid, l’humidité et le brouillard sont nos compagnons attitrés au même titre que les deux protagonistes principaux sur lesquels je reviendrai. En outre, quelques bâtisses en pierre accueillent dans leur fraîche chaleur quelques scènes, et nous visitons qu’une ou deux fois les fameux drakkars vikings.

Le décor planté, la rusticité transcrite, l’histoire bat son plein avec à la fois des enjeux politiques et guerriers. Tout cela en gardant un cap historique vraisemblable et cohérent avec les faits de 890 qui nous sont parvenus de la bataille de Questembert (en Bretagne). Il s’agit d’un des points forts de ce roman, sachant que les amateurs de fantasy spectaculaires risquent de faire des mines chafouines… et l’amateur d’Histoire tout court couinera à l’apparition des passages « fantastiques ».  Pour donner une petite idée d’un roman récent, qui navigue sur des eaux du même tonneau, je citerai Djinn de JL Fetjaine qui met en lumière une période bien précise de l’histoire avec un soin sensible à la dimension historique et à l’ambiance rendue.

Outre, la fantasy historique, Les frontières liquides (une expression qui n’apparaît qu’une seule fois dans le texte), nous pouvons également nous interroger sur son appartenance à la fantasy militaire tant les descriptions relatives à la construction d’une flèche, d’une fortification ou le traitement de l’importance des tours de gué, et autres dispositifs défensifs sont soignés. Et que dire des scènes de combat qui s’ils évitent le gore, n’en sont pas moins violents et physiquement épuisants. Par exemple, le passage sur le montage d’une flèche n’est pas sans rappeler certaines descriptions techniques de KJ Parker. Je vous rassure, l’auteur n’y consacre pas un chapitre cependant et c’est tout à fait passionnant.

Nous pouvons aussi mentionner la dimension politique insérée dans le texte de Jérôme Nédélec. Que ce soit côté breton ou côté vikings, les différentes parties ont des enjeux territoriaux pour leur peuple respectif, tout en subissant des tensions internes qui nuiront au bon fonctionnement de leur entreprise.

Les bretons se sont alliés malgré des frictions datant de plusieurs décennies, l’initiative en revient à Judicaël de Rennes et à Alan, comte de Bretagne qui mettent le mouchoir sur leurs différents – du moins temporairement – pour bouter ces nordiques hors de leurs territoires. Cette alliance est une nécessité, car le péril est grand et, esseulés, ils ne peuvent pas faire face à deux menaces. Malgré cela, même parmi leurs vassaux, l’entente n’est pas uniforme comme le lecteur s’en rendra compte dans les rangs du comte de Bretagne.

De leurs côtés, nos vikings sont à peine mieux lotis. A commencer par leur composition, ils s’avèrent être un patchwork de tribus plus ou moins importantes et provenant de diverses zones scandinaves. Maintenir une cohésion est un challenge en soi, et il n’est pas certain que leur nombre soit réellement une si grande force. Même au sein des tribus, des tensions peuvent voir le jour, fragilisant le ciment martial.

Ces enjeux politiques de différents niveaux corsent l’histoire et enrichissent bien agréablement le récit proposé, sans pour autant complexifier la trame ; les uns veulent prendre le gué sur la Vilaine, verrou de la Bretagne, les autres veulent verrouiller l’entrée…

Ainsi, ce roman qui tire partie de diverses « influences », peut perturber le lecteur de fantasy en recherche d’un récit plutôt classique dans le genre, alors que l’amateur d’Histoire pure ou de roman plus chatoyant peut être désarçonné par l’âpreté de la chose, loin du romanesque attendu.

La structure choisie est particulièrement intéressante en évitant une dichotomie marquée. En réalité, trois points de vue alternent, même si le dernier planant au-dessus des antagonismes éclaire le tout d’une vision d’ensemble tout en apportant la touche fantastique. C’est la vision d’Ooregan, une entité incarnée par une petite fille d’une dizaine d’année, à la fois esprit, chamane, fée, divinité – c’est difficile à dire à ce stade – qui nous initie à un combat plus lointain et plus important. Elle influencera le cours de l’Histoire de Bretagne par des interventions toute en douceur et subtilité.

Autrement, nous suivons, un jeune homme, second de Luern, le capitaine du camp breton. Il délivre son point de vue sur les préparatifs et la bataille en cours, observe les quelques dissensions au sein de son camp, tombe sous le charme d’une belle. Il est également une oreille attentive pour Govlen, un moine dépêché par le comte en raison de son expertise dans les ouvrages défensifs militaires. Ce religieux à la vie mouvementée se montrera particulièrement éclairé, une source de formation et de savoir excellente pour le jeune homme. C’est à son contact que le lecteur apprendra également les tenants de la politique du comte Alan (dans le récit). Initialement, j’ai été assez perplexe devant l’érudition et la sémantique de notre jeune soldat, mais l’auteur prend soin de lui donner un passé solide et cohérent.

Nous nous immergeons au cœur du récit par son intermédiaire, en vivant à travers ses yeux, cette aventure avec toutes les hauts et bas émotionnels qui y ont trait. Nous découvrons un homme loyal, intéressant et intelligent, loin d’être naïf pour son âge, loin d’être cynique en raison de son âge. L’équilibre est bien trouvé et permet de suivre un protagoniste crédible et impliqué avec enthousiasme.

Son point de vue alterne avec celui d’Hasten, le demi-frère du chef viking. Les préparatifs sont inversés puisqu’il s’agit d’envahir et d’attaquer. L’objectif premier est la prise du gué, mais auparavant nous découvrons le parcours de cette troupe, et quelques mises à sac sanglantes chemin faisant. La caractère bien trempé, un brin cynique de ce guerrier habile et froid en fait un personnage tout à fait captivant, loin du tueur froid et détaché, mais tout aussi loin du paladin redresseur de tort.

Les narrateurs sont distinctifs l’un de l’autre. Si dans le cas du jeune breton nous lisons un récit tout en finesse, estampillé  d’humour, de dérision et parfois railleries; dans l’autre camp, nous avons un compte-rendu plus froid, plus incisif et direct, avec un « auteur » à fleur de peau. Dans les deux cas, nous avons droit à quelques réminiscences de leur passé à travers des rêves, des conversations, des confidences ou des flashbacks qui leur donnent de l’épaisseur et forment un caractère cohérent.

Les combats sont très bons et bien rythmés, l’affrontement final parfaitement rendu et prenant.

A ce stade, vous vous doutez que j’ai vraiment apprécié ma lecture qui recoupe mes goûts pour les littératures de l’imaginaire, l’histoire militaire et les plumes engageantes.

Comme bons nombres de premiers romans, il y a quelques points perfectibles cependant – et qui sont loin d’être un frein à la lecture. Ainsi avons nous des petites longueurs en milieu de roman, des transitions maladroites, un poil brutales, et des redondances avec les analepses (la scène de la tour par exemple, le lecteur devine ce qu’il s’est passé – inutile d’écrire le point de vue de notre jeune ami, une brève allusion aurait suffit).

En conclusion, voici un premier roman très prometteur, fondant histoire médiévale et fantasy en une gemme qui ne demande qu’un peu de patine. La forme tout autant que le fond peuvent séduire, même si le choix narratif ne plaira pas à tous les lecteurs.

Critique des «Frontières liquides» par le blog Au pays des Cave Trolls

Critique des Frontières liquides (Jérôme Nédélec) par le blog Au pays des Cave Trolls

Ceux qui suivent ce blog connaissent mon grand intérêt pour tout ce qui a trait aux vikings et à leurs mythes. Ainsi quand j’ai entendu parler de ce roman par l’ours inculte, il a tout de suite éveillé ma curiosité. Et quelques temps après, ma curiosité a été à nouveau éveillée par un mail de l’auteur me proposant un service presse pour son roman. Proposition très intéressante et bienvenue pour un roman qui vaut le détour.

Ce roman est le premier de l’auteur qui a déjà écrit quelques nouvelles auparavant. C’est aussi le premier tome d’une trilogie L’armée des veilleurs. Cette trilogie fait partie d’un projet « transmedia » qui a été soutenu via Ulule en juin 2017. Le projet comportait diverses choses dont un site internet, des vidéos et des musiques. Petite précision concernant le titre de ce premier tome, les frontières liquides font référence aux fleuves qui marquent des frontières.

Maintenant que les présentations sont faites, venons en au cœur du sujet. Le roman situe son action à la fin du IXe siècle en Bretagne sur la rive ouest de la Visnonia ancien nom de la Vilaine. Les incursions vikings ont été nombreuses en France et la Bretagne n’y a pas échappé. Le roman raconte ainsi le face à face entre Les Morlaeriens (vikings) d’un côté et les bretons. Les vikings sont motivés par la soif de richesse et de territoire tandis que les Bretons se défendent. Situation de départ assez simple, cependant s’y rajoute la présence d’une mystérieuse petite fille (en apparence) qui apporte un peu de surnaturel à l’univers. Elle va se retrouver mêlée au conflit et semble guidée par un but énigmatique. Elle amène beaucoup de questionnements dans l’intrigue, son personnage est intéressant et intriguant. Quelques chapitres où elle est la narratrice lui sont consacrés.

La narration justement parlons en maintenant est faite à la première personne en changeant de narrateur à chaque chapitre. Nous avons ainsi deux narrateurs principaux, un dans chaque camp: le breton est le second de la garnison qui défend le fleuve, le viking est le frère du chef et un un guerrier vieillissant fortement porté sur la bouteille. Cette narration a le mérite d’éviter le manichéisme en apportant le point de vue de chaque côté du conflit. De plus, comme la narration est alternée, cela donne plus de rythme au roman et permet de mieux comprendre certaines situations.

Les deux narrateurs sont des personnages intéressants qu’on apprend à connaitre et à apprécier. Le héros breton est un soldat un peu particulier, qui doute des croyances chrétiennes bien établies, et qui a une culture plus élaborée que le troufion de base. Le héros viking est un grand combattant avec des points faibles et qui a une relation pas très amicale avec son frère, le chef. Les rivalités sont nombreuses entre les différents clans vikings (avec des tarés de chefs de clans), et les intrigues pour détenir le pouvoir à l’intérieur des deux camps sont nombreuses.

Les personnages secondaires sont assez nombreux dans les 2 camps. Ils sont également bien travaillés, vivants et intéressants. Le roman est rythmé par des scènes de combat bien décrites et réalistes. Il ne s’agit pas de bataille de masse, à la Seigneur des anneaux mais elles apportent ce qu’il faut d’action au récit.

Le roman appartient au genre de la fantasy historique. L’aspect historique est bien détaillé, les références à l’histoire sont assez nombreuses avec notamment l’utilisation de termes d’époque. Ces derniers sont expliqués dans un glossaire à la fin du roman et en version électronique, c’est un peu pénible pour y accéder. Cependant, elles ne gênent pas dans la compréhension de ce qui se passe.

Le personnage sur la couverture m’a un peu fait penser à un des personnages de Viking, le Jarl Borg, je ne sais pas si c’était voulu. Il n’a cependant pas la même expression. Les runes et la hache sont bien représentatifs du sujet mais le personnage au milieu gâche un peu. Je préfère notamment l’image avec les guerriers que l’on peut trouver sur le site.

Les frontières liquides est ainsi un bon premier roman qui se lit facilement. La double narration permet de suivre l’évolution du conflit dans les deux camps, les personnages sont humains et attachants. L’aspect historique est bien développé. Le surnaturel est apporté par le personnage de la petite fille qui apparait comme très prometteur pour la suite en amenant une autre dimension à l’histoire.

Célindanaé

Critique de «Poèmes sans titre de transport», par Cécile Guivarch

Critique de «Poèmes sans titre de transport», d’Olivier Cousin

par Cécile Guivarch
Terre à ciel, poésie d’aujourd’hui

Olivier Cousin nous entraîne avec lui dans les transports en commun avec cette question en toile de fond :

à quoi songe le mobilier immobile ?

Nous sommes ici dans une poésie du quotidien. Une poésie qui accorde de l’attention aux espaces restreints. Olivier Cousin ne se contente pas de décrire ce qu’il observe, il va au-delà. Il évoque l’individualité dans l’espace collectif, les pensées de l’homme centré sur lui-même et sa solitude.

chacun roule pour sa peau

En découlent les questions de société, la pollution, etc. Le paysage urbain, vu des transports, comme les affiches, les réverbères, les squares, etc. sont évoqués dans de courts poèmes. La ville et ses travaux défilent. Les trottoirs, les passages protégés, les lignes blanches. Écriture simple pour dire l’ordinaire. Poésie des feux tricolores, des giratoires et des bancs publics. Poésie de l’ordinaire, de ce à quoi chacun de nous ne porte plus attention. Voici ce qu’Olivier Cousin parvient à extraire. Une poésie ordinaire qu’il confronte à nous les hommes, à ce que nous sommes. Une poésie qui propose des ramifications. Des associations d’images. La poésie sur les tickets de métro. Et finalement, saurez-vous répondre à cette question ?

Combien de poètes sont entrés / dans le métro en même temps que moi ?

Critique de «Poèmes sans titre de transport», par Paul Gellings

Critique de Poèmes sans titre de transport, d’Olivier Cousin

par Paul Gellings
In La Revue littéraire, n° 71, janvier-février 2018

 

Poèmes sans titre de transportLe titre de ce recueil de poèmes – modeste mais remarquable – trahit d’emblée un certain goût pour le jeu de mots. Pourquoi pas ? Toute poésie qui se respecte se doit de jouer sur l’ambiguïté, voire l’épaisseur du langage, et si cette obligation ne mène pas à l’insipidité du calembour, le résultat en est une puissante réflexion lyrique qui, de page en page, enchante et amuse le lecteur ; tels les Poèmes sans titre de transport d’Olivier Cousin.

«Mais chacun d’eux a bien un titre !» objectera-t-on, et effectivement, l’omission des titres eût pu renforcer l’idée de l’ensemble. Cependant, à les regarder de près, l’on constate qu’ils sont souvent construits sur le modèle ludique du titre général derrière lequel se cachent et le ticket de métro, de tramway et de bus et le fait de se déplacer en zones urbaines, ainsi que nous le montre ce poème :

Lieux communs

Le métro se vit comme un passage obligé
Le lieu peut dérouter
alors qu’il est conçu
pour que chacun atteinge son but
sans retard sans détour
sans déviation ni trépas

C’est le lieu par excellence de la vie grouillante
Même s’il devient pour certains
lieu de survie
et même lieu endeuillé
où la mort s’impose d’une violence
odieuse

On devine ici un lien de parenté avec les «Ding-Gedichte» (=la poésie des choses) auxquels se consacra Rainer Marie Rilke lors de sa deuxième grande période de création, quand les objets furent désormais censés nous parler tout seuls. Qu’on se souvienne à ce propos des nombreuses pièces de décor (fleurs, fontaines, sculptures) dont notamment la signification que leur attribue le poète tout au long des Neue Gedichte éclate devant nos yeux. Phénoménologie qui, dans le cas d’Olivier Cousin, s’observe à partir d’évocations fort imagées du transport en commun en particulier et du microcosme citadin en général. N’est-ce pas, sur le mode d’un Rilke d’aujourd’hui, la ville qui nous parle, nous malmène et qui pue à plein nez dans Trottoirs ?

La ville se montre
peu encline aux largesses
Espace restreint
où la moindre inattention
pousse l’homme au caniveau
Espace d’étrons
où trotter en évitant
la souillure des semelles
Étroit espace étriqué
pour les entrechats du marcheur

Alors, Cousin lecteur de Rilke ? Tous deux sont en tout cas de la même famille là où, d’un bout à l’autre de Poèmes sans titre de transport, de même que dans Neue Gedichte, l’inanimé s’anime grâce à une poétique extraordinairement vivante.

Toutefois, Cousin se distingue aussi très nettement de son prédécesseur non seulement par une forme plus souple mais encore par un certain nombre de notes légères qui se mêlent de loin en loin aux poèmes plus graves et plus longs, et qui nous sont présentés comme des tickets, disant par exemple : «Ce poème est valable une heure» ; «J’ai expédié le temps entre deux rames/ sur la voie encombrée de déchets», ou «Combien de poètes sont entrés/ dans le métro en même temps que moi ?»

Un jeu donc, sur les mots, doublé d’une équipée fantasque, avec ou sans toutes sortes de moyens de locomotion, au tréfonds d’un monde labyrinthique systématiquement agrémenté de destinations inconnues. Comme la vie.

Critique de «La cale ronde», par Marc Moutoussamy

La cale ronde, de Charles Madézo

par Marc Moutoussamy, directeur de la médiathèque Georges-Perros de Douarnenez

J’ai lu dans La cale ronde de Charles Madézo le récit d’une immersion. D’emblée, « la pente douce de la cale, faite de pavés inégaux » dessine un chemin qui nous conduit vers une autre profondeur. Il s’agit tout à la fois d’une plongée dans le souvenir d’une enfance à Douarnenez et d’une approche intime de l’élément marin.

L’enfance remémorée donne sa première dimension poétique à l’ouvrage. Le temps s’arrête au récit des jeux dans le port. Les sensations pures et intenses correspondent à une expérience inaugurale du monde. Elles renvoient autant à l’épreuve d’un environnement neuf qu’à une expérience de soi. C’est l’instant initiatique du premier contact avec l’eau qui détermine cette temporalité particulière : « l’enjeu, c’est la frayeur délicieuse passant de l’un à l’autre, comme un courant, dans la conductibilité transparente de la mer » (p. 13). L’eau épousant le corps est décrite comme la sensation d’un éternel début, car il s’agit à la fois d’une rencontre, mais aussi d’une dépossession qui impose toujours une rupture : « La mer d’un coup de rein tendre, nous rejette, transis, sur la cale moussue et se retire en cascades claires » (p. 14).

L’élément liquide marque un seuil, une limite où les sens s’abolissent. Elle est donc toujours vécue dans une nouveauté radicale, quasi virginale, avec les rituels qui l’escortent. Le rite de la salive marque cette approche sensuelle de la mer. Il consiste à cracher dans l’eau pour déterminer si l’immersion est possible ou non : « Si la salive reste compacte, si le crachat flotte comme un corps étranger, il faut attendre l’état de pureté qui rendra nos humeurs limpide et solubles. » (p. 42). Tout en plongeant, le narrateur vit l’enveloppement de la mer dans cette solubilité sensuelle propre à l’étreinte amoureuse : « l’immersion est une étreinte, il nous paraît justifié d’aborder son baiser profond avec nos salives les plus claires » (p. 42).

Mais La cale ronde nous conduit vers un monde qui se dérobe à la mesure et à l’emprise. Elle nous immerge dans un élément liquide qui acquiert très vite l’importance et la densité d’un « pays des songes » (p. 14) : « la mer est un monde magique et nous y dépêchons, chaque caillou a sa mission, nos émissaires » (p. 15). La mer, omniprésente et incontournable, suggère très vite une masse insondable qui fait écho à l’exploration du passé : « On ne sait pas encore, on ne veut pas savoir, que la mer, c’est le dessous de la surface (…)» (p. 16). Le mouvement de la réminiscence juvénile qui anime l’écriture se double alors de l’exploration d’un lien sous-jacent entre l’auteur et ce qu’il décrit.

En effet, la mer, plus qu’une composante de l’horizon et de l’architecture portuaire de la ville, apparaît comme un élément qui pénètre les consciences, rythme la vie des habitants. Elle s’insinue partout, jusque dans les rêves : « le temps n’est pas celui des monstres, mais une palpitation complexe dont les échos rythment nos jours et s’infiltrent jusqu’à nos rêves » (p. 18). La ville décrite par Charles Madézo est modelée par la force onirique de la mer. Dès lors La cale ronde se présente comme l’exploration de ce territoire intime tissé par l’imaginaire des habitants et qui enveloppe le narrateur : « Douarnenez m’entourait » (p.59). Ce paysage intérieur partagé par le narrateur n’admet pas de limites et affirme la primauté de cette trame imaginaire sur la réalité objective : « nos rêves ignorent ces portes mensongères et reviennent toujours vers les rivages abolis » (p. 91). L’œuvre littéraire constitue alors une représentation assumée de cette dimension imaginaire. En l’écrivant, elle ouvre la possibilité d’une invention indéfinie de la ville pour tous les autres habitants de la ville : « d’autres enfants, dans les immeubles qui dominent le port, se fabriquent d’autres rues monte au ciel » (p. 59). D’abord décrite comme un terrain de jeu enfantin, Douarnenez s’écrit donc comme un lieu de fiction ouvert.

L’écrivain évolue dans ce décor à double échelle, associant souvenir et espace fictionnel. Au seuil de ces deux dimensions superposées, apparaît régulièrement la figure d’un double. Il s’agit d’abord du reflet dans l’eau évoqué au début du livre « guetteur en surplomb, chacun épie son image, son double marin, ce poulpe ensommeillé qui s’étire et qui l’appelle » (p.14). Plus loin, c’est le cormoran qui vole et plonge, « ni oiseau, ni poisson, suspendu au ras des vagues, le cormoran n’en finit pas de se choisir un territoire » (p.65). Cette présence amuse et agace le narrateur, comme un écho parasite qui représenterait de manière triviale la faculté de l’écrivain de communiquer avec ces deux univers structurant de son monde intérieur : « les cormorans nous renvoient les parodies de nos tourments, nous qui ne savons choisir entre la terre et l’eau » (p. 66).

Mais en assurant le rapprochement de ces deux éléments, La cale ronde permet aussi au narrateur de se réapproprier ses multiples reflets, comme dans un mouvement de recherche de soi. Ainsi lorsqu’il s’agit de séduire, le reflet est attendu, guetté comme un assesseur : « je marche avec une anxiété discrète, un peu désemparé par le manque de vitrines qui, rendant mon image, m’aideraient à parfaire une dégaine désinvolte » (p. 87). La vitrine fait apparaître ici un personnage, miroir du narrateur, un écho fictionnel dans un texte qui multiplie les surfaces comme écrans de nouvelles profondeurs spéculaires.

Mais en rapprochant les multiples dimensions du souvenir, du rêve, du fantasme dans un beau travail de ravaudage, La cale ronde permet aussi au narrateur de donner une densité toute particulière aux liens qui l’unissent à sa famille. Orphelin de père, il peut rendre visible, dans l’espace de l’écriture, la force particulière de l’absence d’un parent. Elle est à la fois une présence incontournable dans le récit maternel qui rend le garçon indissociable d’une référence inconnue et donc obsédante : « tout ce qui me touchait en appelait à mon père » (p. 72). Mais elle est aussi l’image écran qui fait obstacle à l’affection de l’enfant pour sa mère : « il était l’emblème d’amours mortes presque avant que je naisse, une épave proliférante qui de partout me débordait » (p. 72).

Cette image logée dans le parcours de La cale ronde qui débute par l’immersion dans le souvenir, l’exploration des territoires remémorés, fictifs et fantasmés du narrateur, montre combien l’écriture relie dans ce livre une expérience de la profondeur et de la limite. La mer, élément métaphorique fondamental, figure le jeu des surfaces entre le visible, l’invisible, le soi et le monde. En les transfigurant dans l’espace de l’écriture, l’œuvre nous propose une circulation libre entre toutes ces surfaces pour y puiser l’ensemble de ses composantes. A l’instar des chefs d’œuvres qui ont associé la recherche sur soi à l’inauguration d’une identité littéraire, La cale ronde offre au lecteur un espace intemporel pour se retrouver, au cœur de Douarnenez, grâce à une création véritable et universelle.

Critique de «Poèmes sans titre de transport», par Marilyse Leroux

Olivier Cousin : « Poèmes sans titre de transport »

par Marilyse Leroux

Les poètes, c’est bien connu, aiment les bancs publics, les amoureux aussi. De toute façon, ce sont les mêmes. Celui de première de couverture, solitaire dans son parc glacé (ou pas), est une invite à s’asseoir pour observer la ville, un sourire ou une interrogation au coin de la bouche.

« Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie », disait l’un, « trouver de la poésie dans un guidon de vélo », disait l’autre qui savait de quoi il parlait… (À ce propos, on pourra lire aussi d’Olivier Cousin, adepte de la petite reine, Les riches heures du cycliste ordinaire paru aux éditions Gros Textes, 2017.) La poésie est partout et surtout dans le regard que l’on pose sur les choses, n’est-il pas ? Et pourquoi pas sur le mobilier urbain, lampadaires, horodateurs, giratoires, palissades, containers et autres sanisettes ? Si l’ambition poétique peut paraître ici plus modeste que chez Isidore Ducasse, la « rencontre » n’en est pas moins suffisamment décalée pour nous amuser, nous questionner, nous émouvoir.

Le poète aime jouer sur les mots, leurs teintes, leurs crissements, leur air de famille, les calembours parfois mais aussi sur les émotions vraies partagées par tout un chacun, habitant des villes comme des campagnes. À la différence des trajectoires et des croisements monotones et contraints, les mots d’Olivier Cousin se télescopent librement sur les lignes pour « bousculer leurs habitudes » et les nôtres en même temps qui ne savons pas regarder plus loin que le bout de nos orteils, ni entendre plus loin que le bout de nos oreilles, les « symphonies de la finance » ou le « quant-à-soi silencieux » des passants et voyageurs, nos semblables. Pas toujours facile de s’accorder aux « vies vagabondes / en vibration ».

Rassurons-vous, au-delà des derniers feux tricolores qui nous font perdre nos chaussettes, notre ticket reste toujours valable et même le poète nous en donne d’autres, neuf en tout, presque un carnet. Le dixième, chacun pourra se l’inventer pour poursuivre le voyage. Des poétickets, ça s’appelle, un mot en provenance de Brest (cherchez, vous trouverez). Un exemple ? « Crissement des lumières et des freins / Convoi décasyllabique en approche », dix rames, quoi.
Vos poétickets en poche (celle du cœur), vous pourrez prendre le train et même le métropolitain, « voies A à Z » dans toute la France, mais aussi de Paris, à London (leTube, vous vous souvenez ?). Vous aurez alors tout loisir de réfléchir à cette « réussite d’urbanité ramifiée » que jalousent (ou pas) nos autres villes et villages.

N’oubliez pas en passant par la capitale d’adresser une pensée émue à Fulgence Bienvenue, si si, vous savez, celui qui porte bien son nom dans la grande gare aux faïences blanches et bleues ! Vous êtes un fondu d’Histoire ? Vous bénirez l’éventration des rues, leurs strates archéologiques dans lesquelles on lit à livre ouvert. Plus mystique, vous serez sensible à la « litanie » des « saints » qui bénissent votre parcours. Si vous êtes doué pour le calcul « pharaonique » − ou la peine des hommes − vous sous pencherez sur l’équation différentielle « trémies de déblais » / nombre et longueur des wagons / taille des pioches, capacité des pelles et autres hydres foreuses. Il y a de quoi faire. Ou alors vous compterez le nombre de « rivets ternis » et de « traverses créosotées » au-dessus du ballast. Vous ne savez pas ce que c’est ? Moi non plus, reportez-vous au dico ou au Big réseau, c’est plus sûr.

Un quatrain de Verlaine au fond du wagon pour rappellera un petit banc bien sympa (voir plus haut), à moins que votre œil innocemment égaré sur une hôtesse de l’air, sourire et uniforme en « coin de ce bleu », vous fasse regretter d’autres lignes autrement plus célestes mais autrement plus turbulentes. Bref, vous serez paré pour un « Glasgow Bilbao Toronto », rimes en rame, où, songeur devant les usagers âgés (ou pas) en transit, vous vous poserez cette question existentielle : « Combien de poètes sont entrés / dans le métro en même temps que moi ? » Alors, ticket orange en main, vous pourrez répondre à Olivier Cousin : « plus un ».

Texte publié dans la revue Textures

«Le dernier opuscule de Charles Madézo : Rose Ressac», par Albert Le Dorze

Le dernier opuscule de Charles MadézoRose Ressac

Albert Le Dorze*

Vous lisez d’une traite. Vous levez le nez et vous demandez pourquoi vous oscillez entre agacement et fascination. Vous laissez reposer l’ouvrage, comme les bouillons de culture, pendant une bonne semaine. Il s’agit d’un ovni littéraire que Madézo a intitulé Récit. Ce n’est pas du roman, ce n’est pas un poème. Mais il y a bien là une écriture singulière, un style. Autrefois, antan, il fallait raconter une histoire, avec un début, une intrigue et une fin. Cette nécessité s’est évaporée. Il y a mieux à faire que de se laisser aller aux facilités de la narration, c’est le mot qui compte, les images, les assonances… Il faut construire, bâtir. Il existe des poésies en prose, des écritures qui se veulent poétiques, mais ici ?

Omniprésence de la mer que des apprentis psy déclinent en maléfices et sortilèges maternels. C’est pas faux, il y a de cela. Il est aussi question du double du héros. Vieux mythe littéraire et expérience commune : qui de nous n’a pas dialogué avec son double ou tenté de le trucider ? Il se pourrait même que les individus qui nous entourent ne soient que des images grimaçantes de nous-mêmes. Il n’y a pas de fou dans le récit de Madézo, mais il y règne une inquiétante étrangeté. Il y a du sexe, de l’érotisme, des désirs érotiques, des tentatives pour les contraindre. Obsession du corps de la femme, toujours associé, bien sûr, à des métaphores maritimes. Angoisse et curiosité.

Métissage entre la littérature et les mathématiques ? L’Oulipo, certes, mais ici c’est à Mallarmé que vous pourriez penser. Mais encore ! À qui, à quoi ? Il s’agirait de faire rendre gorge à la sensation, à l’affect, à l’émotion, à des trucs dits féminins afin de les rendre traductibles, sinon en formules algébriques, du moins en figures rhétoriques qui les fixent, tel un papillon épinglé, sur le papier : on peut comprendre désormais.

La semaine passée, vous avez donc relu, et d’un coup, un mot, un nom vous frappe la cervelle : Luis de Gongóra y Argote, le cultisme ! Il y a sûrement un Italien qui ferait l’affaire ou un Grec, en tout cas c’est du Sud qu’il s’agit. L’auteur nous y invite, qui convoque Garcia Lorca, grand admirateur de Gongóra. Mais que dire du cultisme ? Louis Gaudran, spécialiste de la question : « Double aspiration : ascétique d’abord avec la recherche d’une langue extrêmement concentrée, s’exprimant par demi-mots et suggestions rapides, poussant au plus haut point le caractère ésotérique de toute véritable poésie ; aristocratique d’autre part, par l’immense érudition qu’elle met en œuvre […] ses néologismes audacieux, ses inversions forcées, ses métaphores hyperboliques (d’où le risque de pédantisme), son effort constant vers l’extrême subtilité (d’où le risque d’affectation). »

Charles Madézo se tient sur cette ligne de crête, sur le fil du rasoir.

Ceci n’est possible que dans une période où la culture se veut détachée de son environnement. Le langage, seul compte le langage ! Charles Madézo cultive la nostalgie de ce temps où nous avions le droit d’être dépouillé, ou purement décoratif, ou bizarre. Peut-être que nous aspirions au droit d’être sans sentiment, sans idée, sans idéologie ? Lire Madézo et méditer.

(1) Madézo C., Rose Ressac, Questembert : Stéphane Batigne ; 2017.

(2) Gaudran L. « Gongóra y Argote. » Le nouveau dictionnaire des auteurs. Sous la direction de Laffont et Bompiani. Paris : Robert Laffont ; 1994, Tome II, p 1274.

* Albert Le Dorze, psychiatre et psychanalyste à Lorient, auteur d’une douzaine d’ouvrages, dont La Chair et le signifiant, Inconscients et algorithmes, De l’héritage psychique.

«Les Frontières liquides, baston bretonne» (L’ours inculte)

«Au final, j’ai trouvé Les Frontières liquides très agréable, à la fois historiquement solide (Monsieur Nédélec est passionné par cette période et cette région, ça se voit), avec des dialogues vivants, des personnages humains et des péripéties intéressantes. […] un mélange entre Les héros d’Abercrombie en moins gritty, et Les rois du monde de Jaworski en moins mystique. Les Frontières liquides est un premier roman très recommandable et intriguant, qui plonge le lecteur dans une ambiance guerrière historique crédible et fun.» (http://ours-inculte.fr/les-frontieres-liquides/)

Critique de «Rose Ressac», par Martine Michelat-Berra


Une histoire de cordages, dites-vous
Dans votre dédicace
Une histoire de corps en nage, aussi
Une histoire de double
Une histoire à double sens
Une histoire des sens
Une histoire de clé
La clé des songes
Des songes à clé
Des nœuds à clé
Des capucins gardiens
D’une histoire débridée
À lire en boucle, sans se lasser
En larguant les amarres

Ce roman poétique d’une écriture si belle et d’un érotisme fou

Critique de «La cale ronde», par Fañch Rebours

Plus de trente années séparent mon enfance de celle de Charles Madézo. Ma mer se situe au nord, son océan au sud. Mon port d’attache est petit et discret, il se nomme Bréhec. Le sien est grand et réputé, c’est Douarnenez. Nous ne vivons pas exactement la même Bretagne. Pourtant, la lecture de La cale ronde, réédité par Stéphane Batigne, a ravivé en moi une multitude de souvenirs – concrets, sensitifs, fantasmatiques – qui attestent d’un universel des jeunesses côtières.

La campagne de pêche imaginaire, à bord d’une plate surchargée. Le défi du bain glacé. Les plongeons interdits, côté digue. L’attente du retour des hommes et l’envie d’en être. Les liserés sang, sur la peau brillante des maquereaux. Les paliers de l’initiation adolescente. Le sein nacré échappé du maillot de la première inconnue. Le goût salé des suivantes…

Tous les enfants de la mer, d’hier et d’aujourd’hui, devraient lire un jour ce petit livre d’une réjouissante poésie.

Fañch Rebours

Critique de «Rose Ressac», par Marilyse Leroux

Rose Ressac, de Charles Madézo
par Marilyse Leroux
parue dans la revue Texture

L’auteur nous propose ici, en 47 proses poétiques, l’épopée onirique d’un homme qui, ayant décidé «de rompre tout contact avec le monde», vit en retrait sur un banc public face à la mer, «bien calé entre les tamaris à l’angle nord-est de la plage», une façon pour lui d’inventer sa vie et de «se préparer à la mort» qu’il acceptera «sans panache ni jérémiades». Il lui suffit, pour fuir la tentation régressive du noir, d’appuyer sur «un jeu de leviers qui lui permettent de maîtriser l’enchaînement des événements» Avec lui, entre fantasmes et fantômes, visions et délires hallucinatoires, ruses et constructions mentales, «l’éternité tient dans une heure». L’attente apprend «à posséder le temps».

À l’instar du héros sumérien Gilgamesh, cet homme, grand séducteur qui ne souhaite pas perdre son élan vital, s’est lancé de son «désert avide» dans une quête d’amour où son désir se mêle intimement au paysage marin, très érotisé (cf. l’anagramme du titre), et aux silhouettes féminines qu’il voit passer sous ses yeux. La tentation est partout car l’amour s’incarne ici ou là, dans telle ou telle femme. Louise, par exemple, «si proche et pourtant si lointaine», à qui le héros s’agrippe «pour ne pas sombrer tout à fait». Femme réelle, femme rêvée, synthèse de toutes les femmes, elle parcourt le récit du début à la fin en rencontrant quelques rivales. Il est en effet sur le front de mer des Shamat modernes très tentantes dans leur «harnachement hip» et leurs «Nike roses» de joggeuse… Les effleurer du coude serait déjà une expérience érotique à tenter, et plus si «extension de la zone de contact».

Rêve et réalité se mêlent ici tout naturellement dans «un rose naïf et tendre qui repeindrait aux tons pastels la nuit des épaves», il suffit de «passer à travers la surface du miroir» et tout devient possible. Le songe peut se déployer à sa guise dans un monde mouvant aux frontières incertaines, une sorte d’«énigme fragmentée», règnes et identités s’interpénétrant, s’inversant sans cesse au gré des jeux marins, tant est puissant «l’accord millénaire entre l’homme et l’eau».

Outre les nombreux échos à l’épopée de Gilgamesh, le lecteur s’amusera à démêler une symbolique variée : le deux qui «n’est pas un nombre, car il est l’angoisse et son ombre» ; l’Autre, «cette ombre d’un moi si flottant» ; le double intérieur ; le meurtre de l’Autre en soi ; la croix copte et autres talismans… De nombreuses références littéraires, bibliques, mythologiques, historiques, picturales, musicales, cinématographiques nourrissent l’aspect fortement mythique et psychanalytique du récit. Que le lecteur ne s’attende donc pas à un voyage linéaire aux balises bien définies mais au contraire à une navigation riche et complexe entre «deux faces confuses de la réalité». Tout comme le personnage, il devra «rassembler ses repères, ses lignes de fuite, ses angles droits» et se laisser emporter par une prose poétique fluide, sensuelle, charnelle qui ouvre à d’autres mondes en soi, hors de soi, dans une sorte de vertige où les mots, véritables formules magiques, révèlent un fort pouvoir d’incantation. Les «contrées intemporelles», les «mirages», les «sortilèges» font partie de ce monde, le paysage nous les donne à lire car «nous les créons», « ils n’existent pas sans nous». À chacun, au final, de tout remettre «dans le bon ordre».

Gilgamesh, le roi surpuissant qui ne voulait pas mourir, finit grâce à son Autre par prendre conscience de sa finitude. Du fond de son acédie, il remontera à la vie et, devenu juste et sage, découvrira la belle aventure d’aimer. Existe-t-il au bout du voyage une herbe miraculeuse plus capable de régénérer la vie que l’amour, la «ferveur amoureuse» sous toutes ses formes ?